Chroniques

par monique parmentier

Rinaldo | Renaud
opéra de Georg Friedrich Händel

Opéra de Lausanne (saison hors les murs) / Salle Métropole
- 27 mai 2011
Marc Vanappelghem photographie Rinaldo de Händel à Lausanne
© marc vanappelghem

Tandis qu’à Cologne l’Opernhaus offre la création d’une nouvelle production [lire notre chronique du 21 mai 2011] du tout premier opéra londonien du Caro Sassonne, l’Opéra de Lausanne a choisi de reprendre la production « à l’ancienne » de Louise Moaty, créée au Théâtre national de Prague en 2009. Mais ici, toute la fosse et la distribution scénique ont été changées.

Donné pour la première fois en 1711, Rinaldo connût dès sa naissance un immense succès. Händel venait alors d’arriver à Londres et par sa folle créativité allait imposer l’opéra italien à des Londoniens qui ne s’étaient jamais remis de la disparition prématurée de Purcell.

Rinaldo s’inspire avant tout du Tasse. C’est l’histoire d’un chevalier venu libérer Jérusalem de l’occupation musulmane. Comme dans le roman, il accompagne le roi Goffredo (Godefroy de Bouillon) qui est ici le père de la femme qu’aime le guerrier, Almirena. Le roi Argante, sous la protection de la magicienne Armide, tente dans un dernier sursaut de résister aux chrétiens. Pour cela, Armide enlève Almirena et tâche de corrompre Rinaldo. Accompagné de son frère Eustazio, Goffredo parvient à libérer les deux amants, puis à définitivement vaincre la résistance des armées impies, obtenant leur conversion.

Ici la voix est essentielle. Händel lui offre le plus beau rôle : celui d’une virtuosité débridée qui fait qu’aujourd’hui encore, si l’opéra dans son intégralité n’est pas toujours bien connu du public, les airs, repris régulièrement en récital, sont quasiment sus par cœur par tous. Pourtant même si Rinaldo n’est pas aussi abouti que les opéras de la maturité, il mérite d’être découvert. Et la mise en scène, véritable joyau de Louise Moaty, offre la possibilité de s’ouvrir à ce merveilleux qui était si essentiel à côté de la voix pour susciter l’intérêt du public anglais du début du XVIIIe siècle et qui fascine toujours par ses couleurs et ses clairs obscurs, son exaltante inspiration. Tout y est grâce et onirisme.

S’appuyant sur les chorégraphies raffinées de Françoise Denieau, la gestuelle baroque prend tout son sens. Elle envoûte, séduit, comme dans la scène des sirènes où les voix, cristallines comme eau de source – celles de Nathalie Constantin et Carole Meyer –, l’enlacement des bras et des mains, les déplacements aussi fluides que l’onde hypnotisent comme ils font perdre la raison à Rinaldo. Cette mise en scène suggère la rêverie et y invite. Les éclairages subtils (en partie à la bougie) de Christophe Naillet font chatoyer les superbes costumes, orientalisants ou médiévaux, conçus par Alain Blanchot. On retrouve la luxuriance des soieries de l’Orient. Les décors imaginés par Adeline Caron évoquent par leur abstraction les forêts peintes par les artistes de la Renaissance, lieux de perdition, d’égarements pour l’esprit humain. À l’Acte II, des tissus qui ondulent avec élégance et un navire qui rappelle les caravelles des découvreurs appellent la mer avec une rare délicatesse. Le char d’Armide (Acte I) et les dragons ont un côté surnaturel digne de la féérie des spectacles à machine de l’époque baroque, tout en s’inspirant de l’iconographie chinoise de ces monstres.

Dans cet écrin, la distribution extrêmement homogène et ô combien brillante rassemblée par l’Opéra de Lausanne est un véritable feu d’artifice. Les qualités communes à tous les chanteurs sont un phrasé exceptionnel et une projection sans faille leur permettant des nuances rares et dramatiques, reliées aux émotions. Dans le rôle-titre, Max Emmanuel Cenčić trouve enfin un rôle à sa mesure. Il s’y confronte avec une virtuosité consommée. Le timbre est lumineux, entre bravoure et sensibilité. Que ce soit dans les airs de vaillance où il fait de preuve de détermination et d’une facilité jubilatoire, comme Venti Turbini, ou dans les lents, comme Cara Sposa, où le chant est pure poésie, il conquiert le public suisse.

Face à lui, une double découverte dans des rôles trop souvent secondaires.
La combattive et tragique Almirena de la jeune Hollandaise Lenneke Ruiten qui, dans l’air fort attendu de l’Acte II, Lascia ch’io pianga, suspend le temps. Déchirant comme un poignard, son chant nous atteint et appelle à la révolte ou à la mort. Son timbre flamboyant et ses vocalises (comme celles de Cencic) sont de véritables diamants aux mille facettes, si bien que ces artistes forment un couple crédible et bouleversant. L’autre découverte de la soirée est le contre-ténor (alto) ukrainien Youri Mynenko dans le rôle d’Eustazio. Son timbre extrêmement riche, sans rupture dans les registres, avec un médium parfaitement assuré, apporte au personnage des nuances très fines. Fait de compassion et de détermination, il donne une réelle fermeté à ce frère d’un roi parfois fragilisé par ses attachements. C’est un Xavier Sabata en très grande forme que nous retrouvons en Goffredo. Il a donné beaucoup de sensibilité à ce souverain père à la fois fier et inquiet, ami fidèle d’une grande noblesse. Quant à Bénédicte Tauran, en dépit de la légère méforme vocale d’un soir, elle campe une Armide à la beauté sulfureuse et altière, faisant regretter de n’avoir pas avoir assisté à la première dont tous les échos témoignent de sa maîtrise du personnage. Quel panache dans ce rôle de magicienne aux charmes impitoyables !

C’est ici l’Orchestre de Chambre de Lausanne, sous la direction fougueuse et impérieuse de Diego Fasolis, très attentif à ses chanteurs, qui reprend la partie musicale de cette production initialement interprétée par l’ensemble tchèque Collegium 1704. Se familiarisant à l’esprit baroque, il permet au public de découvrir cet opéra qui n’avait jamais été donné à Lausanne, pour son plus grand bonheur. Ainsi la nuit lausannoise brille-t-elle de la magie des milles feux de ces nuits d’Orient fantasmé par l’Occident pendant des siècles.

MP